PRIMA LINEA
(1984-87)
La première moitié des années 80 reste un moment
privilégié pour l’expérimentation et
l’audace. Cette période voit ainsi apparaître Prima
Linea, l’une des rares formations hexagonales s’inscrivant
clairement dans la lignée d’une musique martiale et
dérangeante, dont les sonorités bruitistes et
symphoniques, associées à une démarche
esthétique et idéologique très singulière,
évoquent clairement les premiers travaux de Laibach ou Test Dept.
Ce groupe naît à Rennes en 1984 et tire son patronyme de
la branche politique du groupe terroriste italien les Brigades Rouges,
les membres du combo considérant en effet l'action terroriste
comme une forme de performance artistique ultime ! Ainsi, à
l’instar de ses glorieux modèles, Prima Linea se
définit d’emblée comme un groupe
esthético-politique, influencé par les recherches
esthétiques et les actions socio-révolutionnaires des
avant-gardes du début du siècle, tels que les mouvements
futuristes russe et italien ou la philosophie de Malevich
(suprématie de l’artiste). Pour mettre en place ce concept
aussi bien au niveau visuel qu’au niveau musical, Prima Linea se
compose de deux "unités" de deux personnes chacune
: une unité musicale et une unité
plasticienne.
Yves Montmayeur alias IV (voix, textes, basse,
trompette, percussions métalliques, bandes magnétiques),
et Frédéric Temps alias Frederick (basse, percussions
métalliques, bandes magnétiques, boite à rythmes,
piano), forment la première unité. Yannick Guerrier alias
Y.A.G. (vidéos), et Beka (graphisme,
aménagement scénique, diaporama), forment la seconde
unité. Notons que Frédéric Temps et Yves
Montmayeur n’en sont pas à leur coup d’essai,
puisque Yves appartenait à la formation cold-wave Warsaw Pact de
1981 à 1983 (qui a fait notamment la première partie de
Kas Product et Marc Seberg à Rennes) et que
Frédéric Temps faisait partie de Die Nonnes en 1983.
Dès sa première année d’existence, Prima
Linea sort une cassette audio auto-produite titrée
Manifesto et se produit au Paradize de Rennes, dévoilant
une prestation se rapprochant (volontairement) plus d’une action
de terrorisme sonore que d’un concert rock classique. En
même temps, le quatuor diffuse un texte affirmant son discours
esthétique, musical et philosophique, se posant en tribuns de la nouvelle révolution suprématiste, issue de
la pensée de Malevitch.
Dans la foulée, Prima Linea enregistre son premier album dans la
plus totale indépendance grâce à sa propre
structure : Acta de Facto. Tiré à cinq cent exemplaires
et simplement titré
Session 1985, ce premier 33
tours pose les bases du style esthétique et musical du groupe,
et demeure un véritable objet de collection qui s’arrache
aujourd’hui à prix d’or sur Internet. On y trouve
une musique sombre et viscérale, associant rythmiques
percutantes et plages oppressantes, et qui reste, aujourd’hui
encore, particulièrement prenante. Fidèle à sa
démarche artistique mêlant musique et image, le groupe
édite, toujours en 1985, une cassette vidéo VHS
auto-produite de trente minutes nommée
Metabolisma, ainsi qu’une cassette audio live :
Prima Linea
Na Stzene sur le label Nourritures Terrestres basé
à Saint-Malo. C’est aussi à Saint-Malo que le
quatuor se produit en 1985 au côté de The Grief.
L’année 1986 marque la sortie du second album vinyle de
Prima Linea, produit cette fois-ci par le label Front de l’Est :
Nitchevo. Composé d’une face A "Axe
Octobre" et d’une face B "Axe Mars", cet
excellent 33 tours dévoile une synthèse réussie
entre les expérimentations bruitistes de Throbbing Gristle et
l’aspect percussif et métallique d’Einstürzende
Neubauten, le tout dominé par des voix puissantes et souvent
déclamatoires. Mêlant sonorités
électroniques et organiques, scandant des textes en anglais,
allemand, français et russe, alternant passages ambient
insidieux et rythmes implacables, Prima Linea se réclame de
certains compositeurs de musique contemporaine (Giacinto Scelsi, Colin
Nancarrow) et cite volontiers Hegel ou Stravinsky dans ses interviews.
Parallèlement à la sortie de N
itchevo, Le
quatuor apparaît sur deux compilations K7 de Nourritures
Terrestres :
Pr Deltoïd et
Parallélismes Et Perpendicularité. Sur cette
dernière double cassette, on trouve aussi un titre
enregistré par Yves Montmayeur sous le pseudonyme de Lieutenant
Kijé et un autre de Frédéric Temps
réalisé sous le nom de Fred Time.
L’aspect musical et visuel étant toujours indissociables
chez le combo rennais, celui-ci se lance dans un ambitieux projet de
spectacle total appelé
Supremus, censé
être créé à Rennes avant d’être
présenté par la suite dans plusieurs pays
européens. Prima Linea dévoile d’ailleurs une
première mouture (non finalisée) de ce spectacle à
Berlin en décembre 1986, durant l’Atonal Festival
où se produisent également Hafler Trio, Die Haut et Art
Zoyd. Mais l’aspect suprématiste et provocateur du groupe
choque le public allemand, qui commence par agresser les musiciens
verbalement puis par jet de bouteilles interposé, avant
d’envahir littéralement la scène ! Une fois la
tension retombée, Prima Linea reprend son concert, qui se
terminera finalement bien mieux qu’il n’avait
commencé. Malheureusement, cette prestation chaotique sera la
dernière de la formation : le plan de financement de
Supremus capote début 1987, peu de temps avant la
création du spectacle. Les quatre artistes,
dépités, décident de mettre fin à Prima
Linea.
On retrouve Frédéric Temps à Paris en 1992 lorsque
qu’il crée
l'Etrange Festival,
manifestation annuelle de films et de performances artistiques
explorant les marges du septième art à travers une
programmation exigeante, et à laquelle Yves Montmayeur participe
en tant que co-programmateur jusqu'en 1999. Parallèlement
à son travail pour
l’Etrange Festival,
Frédéric Temps est actuellement documentaliste pour la
télévision et Yves Montmayeur est journaliste (notamment
pour l'émission Tracks sur Arte) et réalisateur de
documentaires sur le cinéma (Michael Haneke, Takashi Miike, Asia
Argento, Hayao Miyazaki).
En 2004, Frédéric Temps met en
place un projet musical à géométrie variable :
Tempsion. Après une prestation au festival I.D.E.A.L. à
Nantes la même année, le groupe (qui comprend notamment
Frederick Galiay, Jean Philippe Morel, Edward Perraud) se met à
l’œuvre sur son premier album,
Rectifier,
qui sort en 2005. Présenté dans un coffret digipack en 4
volets,
Rectifier comprend un CD Audio et un DVD. Sur
la partie musicale, on retrouve des invités tels que Elise
Caron, Black Sifichi, Charley James, Norscq ou le pianiste Eric Le
Guen. Totalement protéiforme, la musique de Tempsion oscille
entre électro cinématique à la Black Lung ou Meat
Beat Manifesto, rock industriel bruitiste et musique contemporaine,
alternant entre plages ambient et passages frénétiques.
Sur le DVD on retrouve dix films d'animation élaborés par
Régine Cirotteau, Aryan Kaganof, Marc Caro, Couro,
Jérôme Lefdup, Jean Christophe S. ou Deco Dawson.
Actuellement, Tempsion travaille sur son deuxième opus,
There Is No Reason To Believe That Music Exists ! projet qui sera entièrement mixé en 5.1.
Pour en revenir à Prima Linea, il semblerait que
Frédéric Temps et Yves Montmayeur soient brouillés
depuis 1999, ce qui empêche la réédition en CD des
œuvres du groupe. Les collectionneurs n’ont donc plus
qu’à traquer les précieux disques de ce combo aussi
atypique que cultissime.
Christophe Lorentz
est un journaliste musical, essentiellement au sein des
scènes
rock, métal et gothique) et en 2006 était directeur de publication chez
l'éditeur
Camion Blanc.
Cet article à précédemment été publié dans
Les Carnets Noirs
(Acte
2 : La Scène Francophone), publié par K-Ïnite en 2006. Retrouvez sur le webzine
Obsküre un interview de Christophe Lorentz sur ce projet.
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